3A - Art & Acoustique Appliquée  Art & Acoustique Appliquée
 
Production 1980, Antibes.
Daniel Dehay - vers 1977, Antibes.
Extrait du catalogue de 1977.
Extrait du catalogue de 1976.
L'usine d'Antibes - vers 1976.
La chambre sourde - vers 1985, Antibes.
Daniel Dehay - vers 1981, Antibes.
La genèse des trois A


Daniel Dehay né le 26 avril 1938 à Paris.
À l'age de 10 ans, un premier évènement vient boulverser sa vie, le décès de son père. Dés lors, marqué d'un sentiment de solitude et parce qu'il faudra bien continuer, il forgera son ambition dans la résonnance de trois mots, qui à partir de là et pour toujours formeront sa devise : « GO AND GET ! » (va et prend !)

Sa mère emménage alors avenue de Suffren, à Paris dans le 15e, où sa passion précoce pour la Hi-Fi trouvera matière à s'enrichir dans les rayons d'une petite boutique spécialisée du quartier : ILLEL, chez qui il nouera les premiers liens importants. Il y fera ses premières lectures, mais surtout c'est ici qu'à l'age de 13 ans il achètera de quoi fabriquer sa première enceinte mono. Un kit Cabasse à trois voies comprenant un boomer de 31 cm, un médium de 12 cm et un tweeter à dôme, qui iront obstruer le foyer de la cheminée dans sa chambre, au grand dam de sa maman !
"Une merveille d'enceinte close..." — se souvient-il. "200 M2 de conduit de cheminée remplie de laine de verre... La laine était mise dans des sacs confectionnés avec du tulle cousu, et entre chaque sac il y avait un couloir d'air. J'avais vue cela dans une enceinte haut de gamme américaine. Voilà, c'était la première enceinte... mais pas la dernière, mon dieu !"

Passionné de technique et donc déjà bricoleur, il fera ses études secondaires au collège technique à Versailles, où il obtiendra son BAC avant de faire une préparation aux grandes écoles au lycée Saint-Louis, à Paris.
En 1958, il entre à SUP ELEC (École Supérieure d'Électricité - E.S.E.), aboutissement de son premier rêve, et qui sera capital pour la suite. Il y fera pendant 4 ans un apprentissage théorique et pratique en mécanique, électronique, et bien sur en acoustique et électro-acoustique, allant du dessin industriel à la réalisation de pièces en atelier sur machines-outil. Sa rencontre avec la science de l'Acoustique (le premier « grand A ») est d'abord une rencontre humaine. Celle de son professeur en la matière, Monsieur GEORGES NEY, à qui il dédiera plus tard Le petit livre d'Or de l'acoustique. Entre ces hommes là un lien particulier se construit... l'élève était si passionné, tellement assidu, que son professeur l'appelait souvent au bas de l'amphithéâtre pour être secondé dans ses démonstrations.
Mais cette promotion Sup Elec"qui avec le recul prend des allures historiques" — ne comptait pas dans ses rangs qu'un seul « génie ». C'est en effet en 1961, en quatrième année, que Messieurs BRETTE et PERRIN mettaient au point le premier système d'asservissement de pression d'une enceinte acoustique, principe qui sera le point de départ officiel et concret de l'épopée 3A.

Au sortir de l'école, Mr Dehay fera sa première expérience professionnelle dans les labos de Mr Ney, pendant deux ans en tant que chef de travaux. Il aura la lourde tâche de faire aboutir quatre nouveaux travaux pratiques sur l'acoustique. Jouissant des locaux fort bien équipés de son ancien professeur — qui mettra notamment à sa disposition un magnétophone professionnel de très haute qualité — il en profitera pour se consacrer à l'écriture d'une thèse d'ingénieur sur l'enregistrement magnétique.

En 1963, c'est le service national. 30 mois dans la marine en tant que chercheur. Il aura là le loisir de construire deux nouvelles paires d'enceintes, dont une toujours équipées de haut-parleurs Cabasse dont il aime le son et la tonalité.
"À Toulon dans mon studio, je me suis régalé ! La première paire fut une copie d'enceinte anglaise avec un fabuleux HP large bande Lowther. L'enceinte était une colonne étroite".

En 1965, Daniel Dehay embauche à TEXAS INSTRUMENTS.
Vont alors s'égrainer les heures et les années qui feront de lui un chef d'entreprise.
Il intègre la société en tant que product marketing, et cré des produits sur les lignes de fabrication de semi-conducteurs afin d'en améliorer le rendement, donc la rentabilité. Il aura aussi la lourde responsabilité d'établir les prix, ce qui l'obligera à s'initier à la finance. Après deux ans il dirige une équipe de 8 ingénieurs.
Il postule ensuite au poste de directeur de production, et dirigera là 50 techniciens, 40 chefs de ligne et 1000 ouvrières.
En un an, Daniel Dehay va restructurer totalement cette chaine de production et augmenter son rendement de 35%.
Il installera notamment de nouvelles machines ultrasoniques qui finiront par équiper toutes les usines Texas Instruments. Mais il travaille aussi sur le plan humain, après s'être rendu compte que les ouvrières fabriquent des transistors sans savoir à quoi ou à qui cela sert... il prépare alors un cours d'une heure et demi pour 40 équipes de 25 femmes, auprès de qui il deviendra très populaire !
Après trois ans, le directeur du marketing Sud Europe est nommé PDG, Daniel Dehay prend sa place. Il dirige là une équipe de 80 ingénieurs de vente pour la France, la Hollande, la Belgique, l'Italie, l'Espagne, et petite originalité, l'Afrique du Sud. Les années continuent de s'égrainer, intensément, passionnément... Sans aucune vacances et à raison de 12 heures par jour, Mr Dehay — loin de l'acoustique — progresse poussé par sa devise : GO AND GET.

En 1971, Texas Instruments France nomme son nouveau PDG.
Daniel Dehay est dans la course, mais il échoue à deux voies contre trois en faveur d'un polytechnicien. Meurtri par ce premier échec, il prend l'option de claquer la porte !

Le voici face à son destin...

Il reprendra d'abord les travaux engagés dix ans plus tôt par Messieurs Brette & Perrin sur l'asservissement de pression, afin d'en approfondir le principe et d'en parfaire la technique. Devans "les résultats ahurissants des premiers protoypes" — et sous la pression de ses amis de la boutique Illel, vraiment conquis — Daniel Dehay n'a qu'une option : créer sa propre marque d'enceintes acoustiques.

- Première étape : le nom.
Fort des notions de publicité acquises à Texas Instruments, il sait que ce nom doit commencer par un A pour être en tête de tous les répertoires (catalogues, presse, salons...). "Cela devait donc dériver du mot Acoustique...
Ainsi naquit Art & Acoustique Appliquée, mon fameux 3A ! C'était tout mon programme... l'acoustique appliquée à l'art."


- Deuxième étape : l'adresse.
La société, toute neuve, s'installe à Saint-Laurent-du-Var, dans la zone industrielle secteur A !
Les locaux font alors 800 M2, sur 2 niveaux.
Le rez-de-chaussée sera réservé au stockage, et la chaine de production installée au premier étage.
"Les camions de caisses ou de haut-parleurs étaient déchargés et les palettes stockées par colonnes au rez-de-chaussée. Ensuite elles montaient trois par trois dans un monte-charge, jusqu'au premier étage qui était organisé sur 4 lignes : Une ligne le long du mur où étaient stockées les palettes de pièces ; Une rangée de tables de travail où étaient réalisés les filtres et préparés les haut-parleurs ; Puis une ligne de montage, constituée de chariots sur des rails, qui étaient déplacés manuellement par les ouvriers tâche après tâche ; Enfin une ligne d'emballage, avant que les cartons replacés sur palettes ne redescandent au rez-de-chaussée vers une seconde zone de stockage. Une usine bien pensée ! (merci Texas Instruments...)"
Mais pas encore équipée d'une chambre sourde...
Pourtant l'idée de fournir avec chaque enceinte sa courbe de réponse personalisée mesurée en champs libre était déjà là... Alors les mesures se feront par la fenêtre !
"Comme l'usine était située au bord du Var sans aucun vis a vis, j'ai eu l'idée de tester les enceintes une par une sur le rebord d'une grande fenêtre. J'ai alors détourné les rails en fin de chaine pour que les chariots passent devant cette fenêtre. Ce n'était pas tout à fait une chambre sourde, mais avec le microphone à l'extérieur sur une potence, nous obtenions une très bonne mesure... évidement, en cas de grands bruits extérieurs, savoir attendre le silence !..."

- Troisième étape : la gamme.
En tête d'affiche naturellement, le premier modèle d'enceinte dite assistée, ou asservie, qui portera le nom ANDANTE.
Elle sera entourée de trois modèles « classiques », tous inspirés de ce que faisait alors la marque américaine JBL, qui porteront les noms ADAGIO, ARIOSO, AUBADE.
Avec cette première gamme d'enceintes, la marque propose aussi 3 modèles d'ampli qui porteront le nom ALLÉGRO. L'initiative ne durera pas et le nom sera bien sur réatribué à de futurs modèles d'enceintes.

- Quatrième étape : la clientelle.
Ou comment convaincre les points de vente spécialisés de représenter la marque naissante...
"En tant que designer du produit, j'étais le mieux placé pour faire les démonstrations et répondre aux questions... alors, après avoir dressé la liste des meilleurs points de vente français dans les revues Le Haut-Parleur, Hi-Fi Stereo et La Revue Du Son, j'ai mis les 4 paires d'enceintes dans mon break et je suis parti pour un tour de France...
Deux mois après, à raison de 2 à 3 visites par jour avec démonstration souvent des 4 modèles, j'avais décroché 98 commandes et fait 98 clients pour mon réseau. Dont Illel à Paris, bien sur, ou encore Teral et Nord Radio également à la capitale.
Il aura fallu mettre les bouchées doubles et faire pression sur nos fournisseurs de boites (l'un à Compiegne, l'autre à Le Troncey), ainsi que sur Foster qui envoyait les haut-parleurs du japon, pour fabriquer et livrer les 800 paires d'enceintes du premier carnet de commandes... ce qui fut fait en moins de deux mois avec 10 ouvriers !"


- Dernière étape : la communication.
Ou comment convaincre le client final de s'intéresser à la marque naissante...
Et ce slogan qui fera mouche en 1972...
« Vous n'acceptez plus la déformation de l'image, alors...
pourquoi acceptez-vous celle du son ?... »

C'était parti pour 3A !


L'usine de Saint-Laurent-du-Var - 1972.


Philosophie globale de l'acoustique


Dés le départ et durant toute sa vie, Daniel Dehay sera "à la recherche du son le plus naturel possible. Sans coloration dans le grave (effet « boom boom »), ni coloration dans le médium (dureté ou acidité)."

Aussi, là où l'enceinte close fait nécessairement un compromis entre la taille de la caisse et la réstitution des basses fréquences, Mr Dehay se fera une obsession d'obtenir des graves de qualité dans des volumes réduits, jugeant que la musique en bout de chaine ne pouvait faire l'économie des quelques fréquences les plus basses que les instruments produisent et que les micros captent. Ainsi pendant près de 30 ans, il mettra au point et peaufinera selon les produits envisagés, des systèmes de décompression innovants en ce sens et des haut-parleurs toujours plus perfectionnés.

Il en résultera 7 brevets, et un « catalogue » pour le moins impressionnant... Comptant quelques enceintes très haut de gamme, dont certaines en leur temps ont pu être considérées parmis les meilleures du moment par la presse internationale. Pour autant, la grande majorité de la production (et y compris la plus modeste), a su plaire et convaincre par une restitution réaliste et équilibrée, claire et détaillée, sans artifices ni faux-semblants, dans le plus grand respect possible de l'œuvre musicale originale : de l'instrument et de son timbre, du musicien et de son jeu, de l'ingénieur et de son approche. Un son bel et bien naturel... devenu signature. Chapeau bas, "Monsieur 3A" !


Rédaction d'après les écrits et récits de Daniel Dehay : Mathieu Somoskoy-Correa-Berton